Da Le Temps del 5 agosto 2016 | Des centaines de migrants africains souhaitant rejoindre le nord de l’Europe sont refoulés à la frontière suisse. Devant la gare de Côme, ils patientent dans un camp informel ressemblant à la «jungle de Calais»
En arrivant avec le train de 7h44 à la gare de Como San Giovanni, on aperçoit d’emblée des dizaines de corps enroulés dans des couvertures le long du quai. Dans les WC, ouverts entre 6h et 21h, on assiste à un va-et-vient incessant d’Africains qui viennent y faire leur toilette. Dans le hall, des dizaines d’entre eux font la queue pour une ration de café et de pain offerte par des bénévoles. A l’extérieur, la Croix-Rouge a installé quelques douches et toilettes.
Sans la présence de carabinieri en uniforme et d’hommes d’affaires en tenue impeccable en route pour le bureau, on se croirait presque en Afrique noire. Le parc public devant la station ferroviaire est transformé en camp informel. Des centaines d’Africains – entre 200 et 350 selon les médias italiens et les associations caritatives – y ont élu domicile. Ils sont surtout Erythréens, mais aussi Somaliens, Ethiopiens, Nigérians et Gambiens.
Econduits de Suisse sans pouvoir déposer de demande
La plupart ont été arrêtés à six minutes de train et cinq kilomètres de là, à Chiasso (Tessin), désormais principale porte d’accès pour le nord de l’Europe, et renvoyés en Italie par les gardes-frontière suisses. Selon l’ONG Firdaus, présidée par la députée tessinoise socialiste Lisa Bosia Mirra, certains migrants souhaitant trouver l’asile en Suisse ont été éconduits avant même de pouvoir déposer une demande. Une procédure non conforme au droit international, dénonce la Tessinoise.
Entre les arbres centenaires, on distingue çà et là quelques tentes (pour les chanceux), des vêtements séchant sur des branches et des cordes, des baluchons contenant les biens qui ont survécu au voyage, un landau couvert d’une moustiquaire… Certains dorment, d’autres sont réunis en petits groupes, discutent. D’autres encore fument une cigarette en solitaire ou ramassent les déchets à l’aide d’un sac à ordures.
Ce sont surtout des hommes de moins de 45 ans, mais il y a aussi beaucoup de femmes et d’enfants. Mustafa est assis près de l’unique fontaine du parc, où une mère lave les habits de son enfant. Dans un anglais rudimentaire, l’adolescent de 14 ans confie avoir fui la Somalie, traversé le Sahara à pied et rejoint l’Italie par la Libye dans une embarcation de fortune, laissant ses proches derrière lui.
Il dit avoir une sœur en Suisse qu’il souhaite rejoindre, mais les forces de l’ordre helvétiques ne le laissent pas passer. «Si je ne risquais pas de me faire tuer là-bas, lâche-t-il, mimant un tir à la carabine, je ne serais pas ici.» Ses deux compagnons, des Erythréens à peine plus âgés, veulent gagner l’Allemagne, où ils ont de la famille et espèrent travailler. Eux aussi ont été refoulés et squattent à Côme depuis deux semaines. «It’s difficult.»
Plus de 3500 refoulements en juillet
A côté du parc où campent les migrants, un fourgon et une demi-douzaine de policiers sont stationnés en permanence. «Tout est en ordre, à part la situation humanitaire, évidemment», affirme leur chef. Il y a quelques semaines, des groupes d’extrême droite sont venus semer le trouble au camp et menacer les volontaires. Chez les Italiens, on trouve de tout, observe un bénévole de Caritas. «Il y a ceux qui apportent des couvertures et de la nourriture, et ceux qui profèrent des insultes.»
Chaque jour, des médecins bénévoles apportent leur aide. De nombreux migrants ont déjà été hospitalisés. Pour des problèmes de sous-nutrition, des syndromes de stress post-traumatique, ou encore des maladies de peau. Il y a quinze jours, les autorités italiennes ont vidé le camp, transférant une centaine de personnes à Tarente, dans le sud du pays.
La dernière semaine de juillet, 1349 Africains sans papiers ont été arrêtés à Chiasso; 1102 ont été renvoyés en Italie. Des chiffres en constante augmentation. En tout, ils ont été 5760 à vouloir entrer au Tessin le mois passé; 3518 se sont vu refuser l’entrée. A Bellinzone, Norman Gobbi (Lega), à la tête du Département des institutions, a adopté une politique de tolérance zéro. Qui n’est pas en possession d’un visa valide et ne demande pas l’asile en Suisse n’est pas admis.
«La Suisse ne peut pas devenir un corridor»
«Dans la majorité des cas, ces gens veulent se rendre en Allemagne ou en Europe du Nord; la Suisse ne peut pas devenir un corridor», plaide le conseiller d’Etat, assurant que beaucoup parmi les nouveaux arrivants ne fuient pas la guerre, mais la pauvreté. Il ajoute: «Malheureusement, l’asile n’est pas prévu pour cela.» Des forces de l’ordre de toute la Suisse ont été appelées en renfort à Chiasso pour faire face à la situation et les trains provenant de la Péninsule sont désormais passés au peigne fin.