Da LeMatin Dimanche l Migration Que faire face à l’afflux de réfugiés au Tessin? Le conseiller d’Etat tessinois et membre de la Lega Norman Gobbi veut fermer la frontière sud de la Suisse, même s’il est politiquement difficile de le faire.
Comment un homme d’Etat peut-il en arriver à proposer la fermeture de la frontière?
Je me dis qu’il vaut mieux tirer la sonnette d’alarme aujourd’hui, avant qu’il ne soit trop tard. Je dois défendre les intérêts de mon can- ton et de la Confédération: sous-évaluer les conséquences de la pression migratoire est peu responsable. Lors du printemps en 2011, Berne a réagi trop tard. Aujourd’hui, la situa- tion est comparable à celle des années 1990. Si l’afflux actuel de réfugiés empire, cela de- viendra un réel problème pour la Suisse.
Pourquoi aujourd’hui?
La pression est toujours plus forte sur le Tes- sin. D’ordinaire, notre canton enregistre un tiers des demandes d’asile. Aujourd’hui, une sur deux. Chiasso est devenue la seule porte de sortie pour les migrants qui sont coincés en Italie. Ils savent que la Suisse res- pecte ses engagements, contrairement à l’Union européenne (UE). Pour cela, ils arri- vent chez nous en fin de journée, lorsque les bureaux italiens commencent à fermer. Ils savent que la Suisse leur donne de l’argent, un toit, un repas et des soins.
Cette idée de fermeture est-elle une faillite de l’Etat?
C’est une faillite de l’Union européenne qui n’assume pas son problème migratoire. La Suisse n’a pas à la subir et à tenter de la résou- dre. La conseillère fédérale Simonetta Som- maruga dit exactement la même chose. Evi- demment avec un ton moins «leghiste» que le mien. Elle dit que chacun doit faire sa part de travail. La Suisse le fait. En face, non. L’UE laisse l’Italie seule face aux migrants. L’UE ne veut pas de clé de répartition des migrants sur le continent et n’a pas de politique claire en matière d’enregistrement des réfugiés.
Alors quand fermerez-vous la frontière?
Cela ne se fera pas du jour au lendemain. La fermeture est une réponse possible que nous ne devons pas exclure. Au contraire, nous devons nous y préparer de la meilleure ma- nière possible. C’est mon objectif. Cette fer- meture doit être discutée avec la Confédéra- tion qui est seule compétente à décider. Elle peut le faire en collaboration avec la police cantonale qui intervient dans un deuxième temps, juste après la frontière. Quand la fer- merons-nous? Tout dépend de l’évolution de la situation migratoire. Je pense que si rien ne change, il faudra vite la fermer.
Est-ce vraiment légal?
Nous sommes un pays libre et neutre qui a signé les accords bilatéraux, ceux de Dublin et de Schengen. Nous les appliquons de ma- nière correcte. Face à l’inaction de l’UE, je pense que la Suisse peut se sentir libre de fai- re ce qu’elle veut. La fermeture est d’ailleurs prévue, de manière temporaire, par les ac- cords européens si la sécurité interne est menacée. Ce qui pourrait être le cas prochai- nement. La France le fait déjà à la frontière avec l’Italie et dans le Pas-de-Calais.
Pratiquement, comment se fera cette fermeture?
Ce n’est pas une fermeture tout court. Je ne dis pas qu’il faut rendre étanche le Tessin. Les Romands ont toujours l’impression que lorsqu’un «leghiste» tessinois propose d’agir à la frontière, il veut construire un mur et sortir les mitraillettes. Ce n’est pas ça que je veux, si je peux les rassurer (rires). Evidemment que nous maintiendrons le passage des touristes et le commerce de marchandises. Tout comme la circulation des frontaliers, même si je le déplore politi- quement. Cette action à la frontière se fera donc grâce à des contrôles encore plus in- tensifs qu’aujourd’hui. Et nous les avons dé- jà renforcés.
Parlez-vous au nom du Conseil d’Etat du canton du Tessin?
Je ne parle pas en tant que président du Conseil d’Etat. Je parle à titre personnel.
Quelle sera alors la procédure politique à suivre?
Il me faudra d’abord proposer mon idée au Conseil d’Etat. S’il l’accepte, nous devrons ensuite faire une demande au Conseil fédé- ral. Autant dire que la procédure est longue. A mon avis, les conditions politiques actuel- les ne permettront pas la mise en œuvre de cette fermeture. Mais je me dois de la propo- ser. Il en va de ma responsabilité politique.
Une fois entré en Suisse, un migrant pose-t-il réellement un problème?
C’est un poids pour la Suisse. Il y a une ques- tion d’infrastructure. Il y a aussi une ques- tion sanitaire. Beaucoup arrivent avec des problèmes de santé. Nous avons constaté que certains avaient la gale. Pour l’instant, la situation est sous contrôle. Mais elle pour- rait nous échapper, si d’autres maladies sont constatées. Il y a enfin aussi une question sécuritaire. Qui nous dit qu’il n’y a pas des membres de Daech, parmi les migrants, qui tentent d’entrer en Suisse. Leur présen- ce pourrait menacer la sécurité de l’Etat.
Des terroristes parmi les migrants! Le Service de renseignement dela Confédération est-il au courant?
Ils le sont bien évidemment et collaborent avec la police cantonale.
Avez-vous déjà constaté la présence de traces de Daech à Chiasso?
Nous n’en avons pas encore trouvé. Fort heureusement. Mais il y a un autre problè- me sécuritaire.
Lequel?
Certains requérants disparaissent dans la nature sans que la Suisse sache qui ils sont réellement. Je m’explique. Le centre de Chiasso ne dispose pas toujours de place dis- ponible. Le requérant est alors envoyé dans un autre centre d’enregistrement à Vallorbe, Altstätten ou Bâle. Dans ce cas, le contrôle sanitaire et sécuritaire de son dossier est ef- fectué partiellement à Chiasso. Il est finalisé une fois à destination. Le problème est que parfois ces requérants n’y arrivent jamais. Ils se déplacent seuls en train. Les contrôles de leur arrivée à destination sont difficiles à fai- re. Leur absence ne provoque aucune réac- tion. Personne ne sait où ils sont. Ce qui pose un sérieux problème de sécurité nationale.
Que faire alors?
Le problème que je viens d’évoquer a été re- connu par les parlementaires de la Commis- sion de sécurité du Conseil national qui sont venus nous visiter cette semaine. La solu- tion serait d’organiser des voyages accom- pagnés d’un centre à l’autre.
Cette question toutefois n’a rien à voir avec la frontière?
Notre objectif est d’éviter que n’importe qui entre en Suisse. Depuis quatre ans, nous in- tensifions les contrôles pour éviter que les criminels, les Roms et les migrants illégaux entrent dans notre pays. L’esprit de la fer- meture de la frontière va dans ce sens.
Sommes-nous en guerre contre les réfugiés?
Nous ne sommes pas en guerre contre les ré- fugiés. Nous sommes en guerre contre l’UE qui édicte des règles dans le domaine de la migration, mais qui ne les applique pas.
Lorenzo Quadri, municipal de Lugano, qui est membre du même parti que vous, a proposé de construire un mur entre le Tessin et l’Italie. Une bonne idée?
Le fondateur de notre parti Giuliano Bignas- ca (1945-2013) a déjà fait cette proposition. Personnellement, je pense que la construc- tion de ce mur ne doit pas être physique, mais opérationnelle. Ce que nous faisons aujourd’hui sur le terrain.
Il y a surenchère des phrases chocs dans votre parti?
Lorenzo Quadri tient sa ligne. Quant à moi je tiens ma ligne pragmatique et ouverte à toutes les variantes possibles, avant qu’il ne soit trop tard.
Après avoir proposé de fermer la frontière, quelle réaction avez-vous reçue du Conseil fédéral?
Aucune. Silence total.
Vous sentez-vous abandonné par le Conseil fédéral?
Le Conseil fédéral a beaucoup de compré- hension, mais peu d’empathie. Je m’expli- que cela par l’absence de Tessinois au gou- vernement fédéral. Une présence permet- trait de faire passer un message à Berne, de favoriser la résolution des problèmes tessinois. C’est grâce au conseiller fédéral Giuseppe Motta que le Tessin n’est pas tombé dans le fascisme durant l’entre- deux-guerres.
Le Tessin est donc isolé en Suisse?
Je pense que la situation à Chiasso concer- ne toute la Suisse. Les requérants du Tes- sin se retrouveront rapidement dans les autres cantons. Par ailleurs, j’ai reçu beau- coup de messages de soutien de la part de la Suisse alémanique. Beaucoup moins de la Suisse romande.
C’est-à-dire?
Les Tessinois et les Romands ne se com- prennent plus depuis la votation sur l’Espa- ce économique européen en 1992. Pour nous, la pression migratoire est un problè- me de plus. Qui s’ajoute à notre préoccupa- tion principale: la question des frontaliers.
Le canton de Genève a aussi des frontaliers. Et pourtant il ne propose pas la fermeture des frontières…
Nous vivons deux réalités complètement différentes. Genève est une ville centre, une force d’attraction, un poids économique pour sa région. Lyon est très éloigné de Ge- nève. Chez nous, Milan est à 50 kilomètres. Les régions importantes de Varese et Côme se trouvent à notre porte. Ce rapport de for- ce étouffe notre canton. Je rappelle que no- tre petit canton accueille 60 000 fronta- liers, un tiers de ceux présents en Suisse. La question de la migration est un poids de plus pour les Tessinois qui en subissent déjà as- sez. C’est pour cela qu’il faut tenter de gérer ce nouvel afflux.
Malgré ces différences cantonales, restez-vous optimiste?
Je suis très pessimiste. L’UE manque de vo- lonté pour résoudre les problèmes migratoi- res. Et la Suisse, qui est certainement plus eurocompatible que beaucoup d’autres pays européens, ne peut rien faire contre ce man- que de volonté.
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