Lutte contre le terrorisme, repenser les priorités

Lutte contre le terrorisme, repenser les priorités

Ce qui s’est passé à Solingen le 24 août pourrait se produire à Bâle, Locarno ou Genève: il faut revoir les priorités du SRC et de Fedpol, écrit le conseiller d’Etat tessinois Norman Gobbi (Lega), récemment confronté à une attaque au couteau dans un supermarché à Lugano

Le récent attentat terroriste de Solingen, en Allemagne, est l’expression de la menace terroriste permanente qui pèse sur l’ensemble de l’Europe. Un extrémiste syrien a tué trois personnes à l’aide d’un couteau, et en a blessé huit autres. Arrivé en 2022, il faisait pourtant l’objet d’une mesure d’expulsion vers la Bulgarie. Il n’aurait donc pas dû se trouver sur sol allemand.
Ce tragique événement révèle la facilité de mouvement et de camouflage dont peuvent jouir des personnes apparemment ordinaires sur notre continent. En Suisse aussi, la menace terroriste a fait l’objet d’une attention accrue ces derniers mois. Le pays n’est pas à l’abri de ce mode d’action, avec des individus qui se fondent dans la société ou disparaissent des radars, pour ensuite passer à l’action. Les propos récents du directeur du Service de renseignement de la Confédération (SRC), Christian Dussey, le confirment opportunément.
L’attaque terroriste barbare du Hamas contre Israël depuis Gaza, puis la riposte légitime ont provoqué une escalade également dans les pays voisins, et sur le plan international, une recrudescence du terrorisme islamique et de l’antisémitisme. La Suisse n’est d’ailleurs pas épargnée par cette importation du conflit au Moyen-Orient. Ces dérives dangereuses nécessitent une observation attentive de la part des autorités suisses, afin de pouvoir anticiper, désamorcer ou au moins atténuer les risques pour notre pays, l’Europe et les autres démocraties libérales du monde occidental. On peut parler ici d’une communauté de destin et de valeurs.
Pour faire face, la Suisse a intensifié ses activités de surveillance, tant par le SRC que par le Ministère public de la Confédération (MPC) et par la police fédérale (Fedpol). Le sujet a été récemment évoqué à l’occasion du 20e anniversaire du MPC au Tessin. Le constat est sans appel: les cas d’activités pouvant conduire à des actions terroristes, ou à des actes antisémites, se sont multipliés.
Il faut reconnaître que sous nos latitudes, la sensibilité à ces questions est nettement meilleure qu’il y a quelques années, de même que la coordination à tous les niveaux. La coopération proactive des différents acteurs sur le terrain est un élément fondamental qui doit être constamment mis en pratique et, le cas échéant, affiné. Il ne faut jamais perdre de vue qu’il s’agit, ni plus ni moins, que d’une question existentielle pour nos démocraties et les valeurs qu’elles portent.
Mon canton, le Tessin, n’échappe pas à cette réalité. On se souvient de l’attentat perpétré dans un grand magasin du centre de Lugano, par une femme qui a depuis été condamnée par le Tribunal pénal fédéral. Cet acte criminel a été banalisé, ou traité très discrètement par de nombreux médias. Comme souvent, ils ont concentré leur attention sur les problèmes psychiatriques supposés de l’auteure. Pourtant, sa radicalisation et son recrutement s’inscrivent dans un contexte global, celui de l’islam radical, où les réseaux sociaux jouent un rôle central.
En outre, l’Etat islamique (ISIS), même s’il est désormais privé d’une base territoriale, a beau jeu de revendiquer chaque attentat, ce qui pousse au crime en favorisant une forme d’émulation dans la radicalité. Il n’y a plus forcément de lien organique établi entre le mouvement islamique et le terroriste. La cause partagée suffit.
Un constat s’impose: même en Suisse, de plus en plus de très jeunes gens passent de l’intention à l’acte terroriste islamiste. Rappelons Morges, Lugano, Zurich. Nous n’avons plus affaire à des groupes organisés, dont les activités ont toujours nécessité une organisation forte et donc compliquée. Ce sont des individus qui peuvent paraître isolés mais qui épousent une cause globale. Les activités d’identification peuvent être plus compliquées et nécessitent des efforts encore plus «capillaires» de surveillance des réseaux, proches du terrain, et structurés. Dans les cantons suisses, plusieurs cas ont déjà été identifiés et stoppés, mais en toute discrétion. L’idée est ici d’éviter précisément de donner des idées à d’autres extrémistes.
Sur le plan politique, il est grand temps de s’adapter à la nouvelle situation. L’allocation des ressources disponible pour le SRC et Fedpol doit être modifiée. Mon credo: moins de tâches strictement administratives, plus de missions opérationnelles préventives et répressives. Environ un tiers des femmes et des hommes employés sont en effet affectés à des tâches strictement administratives, visant bien trop souvent à justifier tel contrôle ou telle opération. L’augmentation de la menace et son côté diffus nous obligent à changer de priorités.
Nous devons comprendre – Confédération et cantons – que seul un système dédié à la prévention de toutes les menaces déstabilisantes pour le pays, y compris le terrorisme, permettra de préserver la Suisse de ces individus dangereux.
Dans l’éternel et difficile équilibre entre liberté et sécurité, nous devons considérer que ce qui s’est passé à Solingen, en Allemagne, pourrait se produire à Bâle, Locarno ou Genève par exemple. Je suis bien sûr conscient que le «risque zéro» n’existe pas! On peut faire la politique de l’autruche et faire comme si tout allait bien. Mais ce serait irresponsable. L’autre option est de prendre ses responsabilités et de tout faire pour mieux limiter les risques, en réorientant les ressources et en renforçant encore le réseau de protection de la coordination opérationnelle TETRA (Terrorist Tracking), et en laissant les organes fédéraux et cantonaux compétents travailler sérieusement. Tout cela dans l’intérêt d’un pays libre et sûr. 

Da www.letemps.ch

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