Da letemps.ch l Le canton exige un extrait du casier judiciaire des candidats à l’obtention d’un permis B ou G (frontalier). Pour Rome, cette décision est discriminatoire. L’Italie a convoqué l’ambassadeur de Suisse
La tension entre l’Italie et le Tessin est à son paroxysme depuis quelques jours. Pour Rome, la décision de Bellinzone d’exiger un extrait du casier judiciaire des candidats à l’obtention d’un permis B ou G (frontalier) est discriminatoire. Le président du Conseil d’Etat, Norman Gobbi (Lega) – à l’origine de cette demande –, minimise: «Aucune discrimination, une simple mesure de sécurité, qui ne s’adresse pas uniquement aux travailleurs italiens!»
«Deux éléments de discorde ont créé la tension», explique jeudi Norman Gobbi, contacté par Le Temps sur les monts de la Léventine où il passe ses vacances. «Premièrement, l’approbation, le 5 novembre dernier par le Grand Conseil de la hausse du multiplicateur communal des impôts prélevés à la source aux frontaliers, de 78 à 100% – une mesure destinée à combattre le dumping salarial –, et ensuite la demande de l’extrait du casier judiciaire pour toute personne désirant obtenir un permis B ou G.»
Le président du gouvernement tessinois et directeur du Département de la justice précise: «La requête du casier judiciaire ne concerne pas seulement les Italiens mais quiconque fait la demande d’un tel permis de travail. Je l’ai introduite le 2 avril à la suite de graves épisodes de violence, dont une attaque à main armée commise fin mars à Novazzano (sud du canton, ndlr) et dont certains des auteurs se sont avérés être au bénéfice d’un permis B, échu pour l’un d’eux! La mesure a aussi pour but de contrer l’infiltration de membres de la’Ndrangheta notamment [mafia calabraise] au Tessin.»
Norman Gobbi insiste sur un point: «Il va de soi que le canton ne va pas refuser d’octroyer un permis à une personne qui a de petits antécédents pénaux. Preuve en est que le nombre des frontaliers (60 000 au Tessin) n’a pas diminué depuis l’introduction de la mesure, au contraire. La demande d’un extrait du casier judiciaire se fait communément en Suisse, que ce soit pour briguer un emploi ou louer un appartement, et il en va de même en Italie.»
Rome ne l’entend pas de cette oreille: en signe de protestation, l’ambassadeur de Suisse, Giancarlo Kessler, a été convoqué mardi par le secrétaire général de la Farnesina (Ministère des affaires étrangères), Michele Valensise, qui a évoqué une «violation de l’accord sur la libre circulation des personnes de 1999».
Le président du Conseil d’Etat tessinois rétorque: «Pour l’heure, aucun recours n’a été déposé contre notre décision. Notre délégué pour les relations avec l’Italie nous a avertis de la convocation, mais nous n’avons encore reçu aucune prise de position formelle de la part de Rome ou de Berne.» Norman Gobbi est d’avis que «l’Italie a voulu faire pression sur la Suisse. Nous attendons désormais la réaction officielle de la Confédération.»
Stefano Modenini, directeur de l’Association des industries du canton du Tessin (AITI), approuve la mesure cantonale pour des raisons de sécurité territoriale, explique-t-il. Il se demande toutefois si, «juridiquement, il s’agit seulement d’une formalité ou plutôt d’une décision qui viole le principe de la libre circulation des personnes. Aucun de nos associés n’a réagi à cette nouvelle exigence du canton. J’estime personnellement que l’Italie, un pays connu pour ses lourdeurs bureaucratiques aurait pu éviter d’enfler la polémique à ce point.»
La députée de Forza Italia au Parlement européen Lara Comi ne mâche en revanche pas ses mots: «Je soumettrai la question à Bruxelles», a-t-elle dit mercredi dans la presse italienne. «Les décisions du canton du Tessin sur les frontaliers sont inacceptables: le gouvernement doit revenir sur ses pas, il s’agit d’une question de bon sens et de respect de l’accord européen sur la libre circulation des personnes.»